Viviane Guini auteure

ÇA NE SERT À RIEN DE FUIR L’ÉCRITURE


Tout a commencé de travers

Vous me direz études de lettres, prof de français. Normal à un moment donné d’avoir envie de s’essayer à l’écriture. On y a tellement baigné, on a décortiqué tellement de textes, tellement essayé de faire aimer Balzac à des gamins pour lesquels l’histoire de Rubempré était en langue étrangère ! Ça finit par vous travailler, tout ça. Et bien pas du tout. Tout a commencé de travers. Mon père était un scientifique. « Les mathématiques sont au cerveau ce que l’air est aux poumons ! » Et vlan ! Bac scientifique. Objectif, École de Physique et de Chimie de Paris. J’ai 17 ans. Je fais ma mauvaise tête. J’entrerai en hypokhâgne ou je me mets à chercher du travail ! Pas le choix. Parcours sans faute. Je décroche mes diplômes.

Des carnets écrits tout petit

Mais on ne se débarrasse pas comme ça de la tutelle du père ! Il est installé dans les replis de mon cerveau. Dans les coulisses, il tire les ficelles. Écrire ? Des aventures ? Des histoires pour de faux ? N’y pense même pas ! J’écris toute seule, cachée dans les combles de ma première maison, derrière des piles de linge qui attendent d’être repassées et des portants de manteaux et de robes de toute la famille. Entre deux siestes des enfants et avant que leur père ne rentre du travail. Je n’allais tout de même avouer que je m’adonnais à l’écriture et que j’y aurais bien passé l’essentiel de mon temps ! J’accumule des feuilles, des chemises cartonnées, des carnets écrits tout petit. Ça finit par peser lors des déménagements. Dans les cartons, je les dissimule sous les nappes et les torchons. Au moins là, je suis sure de les retrouver.

Je fuis mes histoires

Les enfants grandissent. Je change de métier. J’ai la bougeotte. Chargée de mission au Ministère de la Ville. Je fuis mes histoires. Je fais vraiment tout pour les oublier. Je travaille 60 heures par semaine. Ça tombe bien. Pas le temps. Je n’ai toujours rien dit à personne. Je crois même que je me suis cachée à moi-même que mon héroïne, Aurore, (celle de mon premier roman) attendait depuis plusieurs années dans un hôtel chic de Tel Aviv. Quand je deviens proviseure, les chemises cartonnées, les cahiers, les enquêtes pour retrouver le méchant – comment s’appelle-t-il déjà ? — ont basculé dans un oubli forcé. Mon père est fier de moi. J’ai enfin un métier qui a pignon sur rue.

L’héroïne de mon premier roman

Mais ça ne se passe jamais comme on croit. À côtoyer sans arrêt la réalité crue des couloirs de lycée – il s’en passe derrière les murs ! – voilà que la petite voix tapie dans mes limbes revient me chantonner gentiment sa ballade. Aurore, tu la sors de là et tu la ramènes fissa à Paris. Il faut l’aider. Trouve-lui un copain, tiens. Quelqu’un qui l’aime et qui croit en elle. Elle en assez vu dans sa vie. Ça suffit. Basta ! Installe-la dans un bain parfumé aux essences de fleurs et fais lui goûter ce bon pain noir fait maison avec une épaisse couche de crème fouettée. Un régal, non ? Rien de tel pour la requinquer.

Je noircis des pages et des pages

J’ai repris mes notes, mes cahiers. Cette fois, j’ai un ordinateur. Ça démarre très fort. Je décide d’aller m’enfermer dès que je peux, dans une petite maison isolée près de Milly la Forêt. Loin de tout et de tous. Il y a de vieux meubles de famille avec des photos de l’ancêtre qui a vécu là. Il y a une glycine en façade. Et un cheval, qui passe tous les soirs sous mes fenêtres pour rentrer tout seul dans son écurie. Ça y est , j’ai trouvé. Je m’y mets. Je noircis des pages et des pages. Mon père est un vieux Monsieur. Je n’ai plus peur de grand-chose. Je prends Aurore par la main. Ne t’en fais pas, ma belle. À nous deux, on va te sortir de là.


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