Viviane Guini auteure

Le long cortège des errants


Le long cortège d’errants, depuis la nuit des temps

Une lancinante angoisse

Cela fait plus d’un mois. Chaque matin, nous nous réveillons pour découvrir quel morceau du territoire ukrainien disparait sous un déluge hallucinant  de bombes. Nous sommes horrifiés. Nous nous insurgeons. Nous ne comprenons plus rien. Nous reprenons nos tâches dérisoires. Tentons d’oublier un peu. Avant qu’un nouveau déchainement de violence ne nous cloue à une lancinante angoisse.

Les réfugiés, nos voisins

Je me souviens. J’étais petite quand les premiers émigrés algériens sont arrivés dans notre quartier. Ma mère leur achetait des légumes au marché. Elle disait qu’il fallait faire attention. Ils avaient tôt fait de vous rouler avec leurs tomates avariées ! A l’école, leurs enfants ne nous ressemblaient pas. Ils avaient fui une guerre déclenchée par la France.

Je me souviens. J’avais dix-huit ans. J’étais très engagée à gauche. En 1973, lors du coup d’Etat au Chili, on organisait des comités de soutien. Je passais mes soirées chez José. Il logeait dans son deux pièces des réfugiés politiques. Il y avait du monde partout, des gosses, des bébés. On poussait les assiettes. On préparait des tracts. Et puis des listes qu’on porterait le lendemain au maire communiste pour équiper ceux qui arrivaient. Ils fuyaient la dictature. Le père, le frère étaient restés là-bas.

Je me souviens de ma meilleure amie au lycée. Tim Hoang Phu. On rigolait. On se moquait de son nom. Elle riait avec nous. Elle était brillante. Je l’enviais. Je ne suis jamais allée chez elle. Ses parents ne se sont jamais déplacés au lycée. Elle venait du Viet Nam. Avril 1975. Chute de Saïgon. Ils avaient fui la dictature communiste, le napalm et l’agent orange.

Et puis je suis devenue proviseure. J’ai vu arriver dans les rangs, aux rentrées, les maliens, les sénégalais, les ivoiriens, plus récemment les érythréens, les somaliens. Les plus petits étaient très agités, souvent provocateurs. Ils arrivaient sans cartables,

sans cahiers. Ils ne rendaient pas les devoirs. On convoquait les parents. Leurs enfants traduisaient. La mère se tenait très droite et ne disait rien. Le père flanquait une claque à son rejeton devant moi. Et ça ne changeait rien. Quelques mois plus tôt, ils couraient se cacher dans les bosquets d’acacias. Les militaires fouillaient les villages pour enrôler les hommes et les enfants.

Dans un passé ancien, avant ma naissance, mes parents sont arrivés en France, fuyant l’Egypte. Avec une seule valise.

L’extrême richesse de nos rencontres

Je prends la plume. Urgence de raconter. Et défile dans ma tête ce long cortège d’errants à la surface de la terre, depuis la nuit des temps. Parfois, certains s’imposent, prennent vie, s’accrochent et deviennent des personnages. José, Le Doc, Emmanuel, Aurore (dans mon premier roman). Asma, sa fille, sa petite fille et la fille de sa fille, toutes nées au Liban, dans ce petit village, par hasard. Maronites, Druzes, Bédouines, palestiniennes ? (dans mon deuxième roman)

Qu’est-ce qu’une identité?  L’extrême richesse de nos rencontres.


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